J’ai fait dernièrement un rêve qui, depuis, accompagne mes journées tant il me semble chargé de sens et de symboles.
Pourquoi partager un rêve qui, somme toute, ne concerne a priori que moi ? C’est précisément parce que je ressens qu’il peut éclairer également toute personne engagée sur un chemin de vérité.
Ce n’était pas un rêve déroulé dans l’inconscience du sommeil, mais un de ceux faits de jour.
Dans cet état qui m'est de plus en plus familier, la conscience est entièrement tournée vers l’expérience intérieure, et fermée aux choses extérieures. Celles-ci restent perceptibles, comme en filigrane, le corps étant totalement immobile, dans une incapacité de mouvements.
Je suis dans le midi de la France, l’été, il fait très chaud et j’ai pris l’habitude d’aller faire une marche consciente au petit matin, qui se termine par une méditation sur un banc face à un panorama somptueux. C’est moi, mais avec l'aspect physique de mes 25/30 ans (mince et brune… j’ai les cheveux gris maintenant). Je reste là, tous les matins pendant trois quarts d’heure - une heure, les yeux mi-clos dans une grande aspiration d’union au Divin (qui est aussi mon vrai moi), et dans un état de vacuité et de paix presque enivrante. C’est généralement l’intensité accrue des rayons du soleil qui me sort de cet état et me donne le signal du retour à la maison.
Un jour, je sens le banc ployer. Quelqu’un vient de s’asseoir à côté de moi. Je ne bouge pas pendant quelques secondes puis risque un regard oblique. J'aperçois d’abord une langue fourchue qui rentre et sort, et puis découvre un reptilien qui, lui aussi, m'observe de côté.
Une alarme retentit en moi… Je devrais avoir peur… Mais le signal se tait rapidement car cette présence n’est pas du tout menaçante.
Il est beaucoup plus grand que moi, avec des écailles argentées, teintées de bleu-vert dans le soleil. Sa tête est plate sur le dessus et ses longues mains sont prolongées par d'impressionnantes griffes.
Il me regarde, son corps est paisible et tout aussi immobile que le mien. Nous restons comme cela un moment, dans la même aspiration… Je me risque alors à poser ma main sur la sienne… Elle est glacée.
Dans l’état de quasi béatitude qui est le mien, je lui transmets tout l’amour dont je suis capable et, petit à petit, sa main se réchauffe.
Désormais, chaque matin, je ne serais plus seule sur ce banc et nous y méditerons ensemble jusqu’au jour où, c’est lui qui viendra poser sa main sur la mienne. Je la retourne aussitôt, et ma paume est dans la sienne.
Je ne suis pas une spécialiste du décryptage des rêves, mais celui-ci me parle particulièrement, tant il est construit et précis.
Je ne sais pas pour vous, mais, quant à moi, j’ai la certitude que mon unique but dans cette incarnation est l’accomplissement de mon être. C’est-à-dire évoluer en conscience jusqu’à ce que les vibrations de mon corps – ma manifestation dans la matière – soit capable de fusionner avec la vibration la plus haute, celle de l’esprit. Cet état est aussi appelé 'réalisation'.
Un nombre suffisant de personnes sur ce même chemin permettra l’avènement d’un nouveau règne sur la terre, celui d'une espèce nouvelle : l’être divinisé.
Comme Aurobindo1 l’a si bien expliqué, la réalisation se fera au niveau du supramental, c’est-à-dire au-delà du mental. La vibration du supramental (la conscience-de-vérité) est descendue sur la terre le 29 février 1956 ; elle est donc accessible à tout le monde depuis.
L’étape préalable à l’ascension consiste à ouvrir les yeux sur notre monde multidimensionnel ainsi que sur le fonctionnement de la matrice artificielle dans laquelle nous ‘survivons’ en qualité d'esclaves, aveugles et sourds, de faux dieux qui nous manipulent et nous gouvernent. Dans cette phase essentielle, sans laquelle rien ne peut s'accomplir, je vais apprendre à lâcher tous les rôles ataviques ou inculqués depuis des millénaires par l’éducation, la famille, la société… Petit à petit les personnages égotiques qui prévalent en moi vont se dissoudre et se fondre dans l’être psychique2, le territoire évolutif de l’âme. Celle-ci va ainsi pénétrer toujours plus les corps mental, vital et, enfin, physique.
Bien sûr, en premier lieu, il y a l’endormissement dans lequel la plupart des gens végètent : métro, boulot, dodo… Et surtout pas de questionnement, même si je suis au repos ! Dormez, braves gens !
De plus, le mental peut être très agité, il tourne en rond, il saute d’une obsession à une autre, croyant ainsi parfois ‘avancer’. Je dois donc d’abord instaurer le silence si je veux avoir un jour une chance d’accéder aux mondes supérieurs3.
Autre obstacle, mon vital, et plus particulièrement, dans celui-ci, le corps émotionnel sempiternellement balloté entre emballements et découragements, fausses joies et déchirements… Il me faut pacifier ces émotions et cesser ce yoyo.
Quand ces deux corps sont maîtrisés, l’un au silence, l’autre au neutre, il reste à réveiller le corps physique, souvent à la traîne tant il est pétri d’habitudes et d’inertie.
Voyons ce que nous dit Aurobindo à ce sujet (L’Evolution spirituelle P. 130, 1ère édition de 1992) :
« Il n’est pas suffisant que le Pourousha4 consente et participe à la transition, il faut aussi le consentement et la participation de la Prakriti5. Ce ne sont pas seulement la pensée et la volonté centrales qui doivent acquiescer, mais toutes les parties de notre être qui doivent consentir et se soumettre à la loi de la Vérité spirituelle – tout, dans toutes les parties de l’être, doit apprendre à obéir au gouvernement du Pouvoir Divin conscient. Il y a en nous des difficultés obstinées qui viennent de notre constitution évolutive et qui s’opposent à ce consentement. Car certaines parties de l’être sont encore soumises à l’inconscience, à la subconscience et à l’automatisme inférieur de l’habitude ou de la prétendue loi de la Nature – habitude mécanique du mental, habitudes vitales, habitude de l’instinct, habitude de la personnalité, habitude du caractère, besoins, impulsions et désirs invétérés de la nature humaine mentale, vitale et physique, vieux fonctionnements de toutes sortes qui sont là enracinés si profondément qu’il semblerait que nous ayons à creuser jusqu’à des fondations insondables pour les en extirper. Toutes ces parties ne veulent pas renoncer à répondre à la loi inférieure fondée dans l’inconscience ; elles font continuellement monter les vieilles réactions jusqu’au mental et au vital conscients et cherchent à les y réimposer comme une loi éternelle de la Nature. »
Le reptilien incarne le moi archaïque. C'est mon origine, mon animalité, ma part d’ombre, celle qui résiste à l’évolution, la prédatrice.
Moi, en jeune femme sur le banc, c’est mon âme. L'être en moi qui aspire à la complétude, à l’union au divin, ma part de lumière qui veut évoluer en conscience.
Mais tant que l’ombre est rejetée, la lumière n’est qu’une lumière artificielle (l’ombre de la lumière) et n’est pas LA Lumière. Tant que je nie mes créations dites ‘négatives’, qu'elles soient individuelles ou collectives (mensonges, vol, viol, meurtre, terrorisme… ), je tourne le dos à ma réalisation. Dans la dualité, c’est l’ombre qui objective la lumière.
Il faut qu’ombre et lumière soient unies, 'patte dans la main'. Et ainsi, les coins les plus obscurs de mon subconscient deviennent consentants au changement, à l’évolution de ma conscience et à l’accomplissement de mon être.
Pour faire UN, il est indispensable d'accueillir les deux opposés. Quand je ne veux pas voir toutes les horreurs de ce monde, quand j’écarte tout ce qui me dérange, je perpétue le mensonge et m’enfonce en lui toujours plus profondément.
Se voir et s'accepter, sincèrement et honnêtement, dans tous ses aspects et aspérités, est la condition sine qua non à l’accomplissement. Comment réaliser la complétude en laissant des morceaux de côté ?
Vous ne voyez toujours pas où je veux en venir ? Je vais tenter de vous éclairer !
Je vous ai dit, plus haut, que la transformation se réalisait dans le corps physique. Hors, figurez-vous que le physique possède, lui aussi, un mental !
« Ce mental physique, c’est précisément celui qui nous suffoque – insidieusement, innombrablement et très implacablement. C’est notre cage. C’est la paroi même de notre bocal humain. […] C’est lui qui veille soigneusement sur les limites du bocal. C’est le gardien de la prison. […] Il prévoit toutes les catastrophes possibles, toutes les maladies possibles, tous les accidents – et puis surtout la mort, ça, il la prévoit depuis le début. […] Il y a quelque chose dans la matière vivante qui aspire à la paix du minéral. Il y a une mémoire implacable qui nous ramène au début des âges… peut-être à cette condition première de la matière où se trouve enfoui le suprême pouvoir dans ce qui semble être la suprême immobilité dans le suprême mouvement des atomes. […] En fait, nous sommes enveloppés dans une quadruple trame superposée : la première, dont les mailles sont relativement lâches, celle du mental intellectuel ; la seconde, dont les mailles sont déjà plus serrées et collantes, celle du mental émotif ; puis la trame compacte du mental sensoriel et enfin les mailles microscopiques du mental physique – là-dessous, il y a le corps, c’est-à-dire un inconnu dont la réalité nous échappe complètement parce que tout ce qui vient du ‘corps’ soi-disant est dénaturé, faussé et fabriqué vraiment par les quatre trames successives. » (Le mental des cellules • Satprem P. 66, 1ère édition de 1981)
Ce rêve m'apparait primordial, lumineux. J’y accepte la présence du reptilien, ma part archaïque. Surtout je ne ressens aucune peur, ce qui n’est pas spontané pour le physique et même antinomique ! L'union 'ombre-lumière', qui se fait en moi, ouvre une brèche dans ce mental des cellules et permet, beaucoup plus aisément à ma conscience d’ascensionner dans les sphères mentales supérieures3. Et d'évidence, ce consentement du mental physique ne peut que favoriser la première étape de l’accomplissement.
Voilà, l’enseignement de ce rêve, et toute l’intégration qui s’installe dans mes cellules. Et peut-être qu'en vous aussi, il fera écho…
La Pouliche • avril 2016