Il y a un moment — parce que c’est la question qui devient de plus en plus intense et de plus en plus aiguë — où on a même le sentiment, justement, que les choses sont drôles, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas vraies ; il arrive un moment où cette sensation que l’on a de soi , d’être soi-même , devient étrange, une sorte de sens d’irréalité. Et la question continue à se poser : « Mais alors, qu’est-ce qui est moi ? » Eh bien, il y a un moment où ça se pose avec tant de concentration et tant d’intensité, qu’avec cette intensité de concentration, tout d’un coup il se produit un renversement, et alors, au lieu d’être de ce côté-ci on est de ce côté-là ; et quand on est de ce côté-là, alors tout est simple, on comprend, on sait, on est, on vit, et alors on voit clairement l’irréalité du reste, et ça suffit.
N’est-ce pas, on peut attendre pendant des jours, des mois, des années, des siècles, des vies, avant que ce moment-là arrive. Mais si on intensifie son aspiration, il y a un moment où la pression est tellement grande et l’intensité de la question est tellement forte que quelque chose bascule dans la conscience ; et alors, c’est tout à fait l’impression qu’on a : au lieu d’être ici on est là, au lieu de voir du dehors et chercher à voir au-dedans, on est dedans ; et de la minute où on est dedans, absolument tout change complètement, et tout ce qui vous paraissait vrai, naturel, normal, réel, tangible, tout ça immédiatement, oui, ça vous paraît très grotesque, très drôle, très irréel, très absurde ; mais on a touché quelque chose qui est suprêmement vrai et éternellement beau, et ça on ne le perd plus.
Une fois que le renversement s’est produit, on peut glisser dans des consciences extérieures, ne pas perdre le contact ordinaire avec les choses de la vie, mais ça reste et ça ne bouge plus. On peut, en ayant affaire ave les autres, retomber un peu dans leur ignorance et leur aveuglement, mais il y a toujours quelque chose qui est là, vivant, debout dedans, qui ne bouge plus, jusqu’à ce que ça arrive à pénétrer tout, au point que c’est fini, l’aveuglement disparaît pour toujours. Et c’est une expérience absolument tangible, c’est une chose plus concrète que la chose la plus concrète, c’est plus concret qu’un coup de poing sur votre tête, c’est une chose plus réelle que n’importe quoi.
C’est pour ça que je dis toujours… quand les gens demandent comment est-ce qu’on sait qu’on est en contact avec son être psychique, ou comment sait-on qu’on a trouvé le Divin, moi, ça me fait rire ; parce que quand ça vous arrive c’est fini, vous ne pouvez plus poser la question, c’est fait ; vous ne demandez pas comment ça arrive, c’est fait.
La Mère • 8 juin 1955